Le développement du biométhane en France : les CPB en soutien à la filière

20/3/2025
Le développement du biométhane en France : les CPB en soutien à la filière

Un pilier de la transition énergétique

Le biométhane, gaz renouvelable produit par la méthanisation de matières organiques, s’impose comme un pilier de la transition énergétique. Son bilan carbone positif, largement confirmé par la communauté scientifique, justifie son déploiement pour substituer le gaz naturel fossile et contribuer à la décarbonation du mix énergétique, en ligne avec l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. Au-delà de ses atouts climatiques, le biométhane valorise les déchets (agricoles, industriels, ménagers) et offre aux territoires ruraux une nouvelle source de revenus et d’emplois verts. Toutefois, la compétitivité du biométhane face aux énergies fossiles dépend de mécanismes de soutien adéquats.

Historiquement, des tarifs d’achat garantis ont encouragé les porteurs de projets. Désormais, de nouveaux instruments innovants voient le jour pour accélérer son développement, à l’image des Certificats de Production de Biogaz (CPB) introduits récemment. Ces mécanismes de soutien extra-budgétaires, inspirés d’initiatives existantes comme les Certificats d’Économies d’Énergie (CEE), visent à amplifier la filière tout en maîtrisant l’impact financier pour la collectivité. L’article qui suit dresse un panorama détaillé du biométhane en France, de son mode de production à ses perspectives, en s’attardant sur le fonctionnement des CPB et en le comparant au dispositif des CEE. Des exemples concrets et des témoignages d’acteurs éclaireront les enjeux, défis et opportunités liés à ces instruments de la transition énergétique.

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Le biométhane : Définition et Enjeux

Le biométhane désigne le biogaz épuré pour être injecté dans les réseaux de gaz. Il est obtenu via la méthanisation, un procédé de fermentation anaérobie de matières organiques variées : effluents d’élevage, résidus de cultures, biodéchets, boues de stations d’épuration, etc...

Ce processus biologique produit un biogaz brut contenant principalement du méthane (CH₄) et du CO₂. Après épuration (retrait du CO₂ et des impuretés), on obtient un biométhane d’une qualité similaire au gaz naturel fossile, utilisable pour le chauffage, l’électricité ou comme carburant. Cette production s’inscrit dans une logique d’économie circulaire en transformant des déchets en énergie renouvelable et en générant un résidu, le digestat, utilisable comme amendement agricole.

Les avantages environnementaux du biométhane sont significatifs. Chaque mégawattheure de biométhane injecté permet d’éviter l’émission de CO₂ d’une quantité équivalente de gaz fossile, tout en réduisant les émissions diffuses de méthane liées à la décomposition des déchets organiques. Le bilan carbone de la filière est positif, à condition de maîtriser d’éventuelles fuites de méthane et d’adopter de bonnes pratiques (choix d’intrants raisonnés, optimisation de la gestion de l’azote, etc.). En substituant une énergie locale et renouvelable à une énergie importée et carbonée, le biométhane contribue à la sécurité énergétique et à la lutte contre le changement climatique. Sur le plan économique, la méthanisation offre des revenus complémentaires aux agriculteurs et aux industriels traitant des déchets. Selon la Cour des comptes, les exploitations agricoles engagées dans la méthanisation ont vu leur excédent brut d’exploitation augmenter de 40 000 € après un an d’activité, et jusqu’à 55 000 € après cinq ans.

La vente de biométhane, ajoutée aux économies réalisées sur les engrais (grâce au digestat) et à la vente éventuelle de chaleur, renforce la résilience économique du monde agricole et rural. En outre, le développement de la filière crée des emplois locaux (construction et maintenance des unités, logistique des substrats, etc.) et dynamise les territoires.

Les perspectives de développement du biométhane sont ambitieuses en France comme en Europe. Premier semestre 2024, on dénombrait 1791 méthaniseurs en France (toutes filières confondues), dont 694 injectaient du biométhane dans les réseaux. La production de biométhane injecté a atteint 13,5 TWh en 2024 (estimée par Xerfi) en hausse de 107% par rapport à 2021. Cette part encore modeste est vouée à croître rapidement : la nouvelle Programmation pluriannuelle de l’énergie fixe une cible de 50 TWh de biogaz en 2030, soit une multiplication par plus de cinq de la production actuelle.

La filière affiche même une ambition de 60 TWh d’ici 2030 selon le Syndicat des énergies renouvelables. À l’échelle européenne, le plan REPower EU adopté en 2022 a marqué un tournant en inscrivant un objectif de 35 milliards de m³ de biométhane en 2030, équivalent à environ 370 TWh (Biomethane- European Commission). Atteindre ce volume, qui représente près de 10% de la consommation gazière de l’UE, nécessiterait d’importants investissements (estimés à 37Md€ sur la décennie par la Commission européenne) et des politiques de soutien renforcées dans tous les États membres. Dans ce contexte, la France, déjà en pointe sur le nombre d’installations, s’attache à innover en matière de mécanismes de soutien pour amplifier la dynamique tout en évitant un fardeau excessif pour les finances publiques

Les Certificats de Production de Biogaz (CPB)

Face à l’essor du biométhane et à la nécessité de sécuriser son financement, la France a introduit un dispositif inédit de soutien extrabudgétaire: les Certificats de Production de Biogaz (CPB).Créés par la loi Climat et Résilience du 22 août 2021, les CPB s’inspirent directement du modèle des certificats d’économies d’énergie. Le principe est d’obliger les fournisseurs de gaz naturel à contribuer au développement du biométhane injecté, proportionnellement à leurs ventes, plutôt que de subventionner la filière via le budget de l’État. Concrètement, à partir de 2026, chaque fournisseur de gaz devra prouver annuellement à l’État qu’il détient un certain nombre de CPB en rapport avec la consommation de ses clients résidentiels et tertiaires, sous peine de pénalité financière.

En 2026, l’obligation est fixée à 0,0041 CPB par MWh consommé, puis monte en régime pour atteindre 0,0415 CPB par MWh en 2028, en d’autres termes, l’exigence est décuplée en trois ans pour signaler un fort soutien à la filière, tout en restant cohérente avec le temps de développement des projets. Chaque certificat correspond à 1 MWh (PCS) de biométhane injecté dans les réseaux. Les fournisseurs peuvent obtenir ces CPB de deux manières : soit en produisant eux-mêmes du biométhane (via des filiales ou des partenariats dans des unités de méthanisation), soit en achetant des certificats à des producteurs de biométhane sur un marché dédié.

Le fonctionnement du CPB vise un double objectif : soutenir la filière biométhane tout en faisant porter le coût aux vendeurs et consommateurs de gaz plutôt qu’au contribuable. Lorsqu’un producteur injecte du biométhane, il peut demander l’émission de CPB correspondants, qu’il revendra en plus de son biométhane (vendu, lui, au prix du gaz naturel sur le marché). Ainsi, le producteur bénéficie de deux revenus : la vente de la molécule de gaz et celle du certificat vert associé, ce qui lui permet découvrir ses coûts de production (plus élevés que ceux du gaz fossile) et de dégager une marge raisonnable. De leur côté, les fournisseurs obligés répercutent les coûts d’acquisition des CPB dans la facture de gaz de leurs clients finals. Contrairement aux anciens tarifs d’achat, financés par des taxes ou le budget de l’État, le CPB repose sur un financement extrapublic où la charge pèse in fine sur les consommateurs gaziers.

Ce mécanisme présente l’avantage de lier le soutien au rythme de la consommation nationale de gaz : plus celle-ci sera élevée, plus les obligations de CPB le seront, ce qui garantit en théorie que l’aide bénéficie à des producteurs situés en France et alimente bien le réseau français. Il répond ainsi à une critique des systèmes précédents où, via es garanties d’origine, une production subventionnée en France pouvait parfois profiter à un fournisseur étranger. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a été désignée pour surveiller ce nouveau marché et proposer les ajustements nécessaires afin d’assurer son efficacité et limiter son impact inflationniste sur les tarifs du gaz. Par exemple, la CRE a recommandé d’abaisser d’environ 40 % le niveau d’obligation initialement envisagé pour 2026-2028, jugeant la première trajectoire trop ambitieuse par rapport au rythme réalisable de mise en service d’installations. Le législateur a suivi en partie cet avis, illustrant le pilotage fin requis pour garantir l’équilibre du marché des CPB.

Les CPB : un tournant majeur dans le soutien aux projets de méthanisations

Le déploiement des CPB modifie en profondeur le modèle de soutien aux projets de méthanisation. Jusqu’alors, les producteurs de biométhane bénéficiaient quasi exclusivement de contrats d’achat garantis sur 15 ans (obligation d’achat à tarif réglementé ou compléments de rémunération issus d’appels d’offres) pour assurer la rentabilité de leurs unités. Depuis 2021, ces soutiens publics ne sont plus accessibles aux grands projets : les installations de capacité supérieure à 25GWh PCS/an ne peuvent plus bénéficier de l’obligation d’achat et devaient passer par des appels d’offres compétitifs. L’instauration des CPB a acté l’arrêt pur et simple des nouveaux appels d’offres pour ces grosses unités, le gouvernement misant sur le marché des CPB pour les soutenir dorénavant.

Les sites de taille intermédiaire ou petite conservent la faculté d’opter pour le dispositif traditionnel (tarif d’achat via le guichet ouvert) ou de se tourner vers les CPB. Toutefois, ce dernier requiert de négocier un contrat de vente de biométhane avec un fournisseur (de gré à gré) et de gérer la commercialisation des certificats, une complexité et un risque de marché que tous les porteurs de projets ne sont pas prêts à assumer. On peut s’attendre à ce que les CPB concernent en priorité des installations de moyenne à grande taille, capables d’absorber ces contraintes, tandis que les plus petits méthaniseurs agricoles continueront de privilégier le tarif d’achat garanti pour sécuriser leurs revenus. Il est en tout cas impossible de cumuler les dispositifs : un même volume de biogaz injecté ne peut donner lieu qu’à un seul soutien, soit via un contrat d’achat, soit via des CPB, soit via la vente de garanties d’origine. Le décret d’application prévoit ainsi qu’aucun certificat de production ne sera délivré si une garantie d’origine a déjà été émise pour le même MWh de biométhane.

Afin de tenir compte des caractéristiques des installations, le mécanisme CPB introduit quelques modulations. D’abord, les sites de méthanisation anciens ayant amorti leurs investissements bénéficient d’un soutien réduit : pour les unités mises en service depuis plus de 15 ans, 1 MWh injecté n’octroie que 0,8 CPB (au lieu d’un certificat plein). Cette décote de 20% reflète le fait que leurs coûts de production sont plus faibles une fois l’installation rentabilisée : elle évite aussi de sur-rémunérer des unités existantes aux frais des consommateurs. De même, les installations de captage de biogaz sur installations de stockage de déchets (ISDND, les décharges, qui produisent du biométhane à moindre coût, ne reçoivent que 0,8CPB par MWh injecté.

Ces ajustements garantissent une utilisation efficiente des fonds : le volume de certificats délivrés (et donc les charges pour les fournisseurs) est orienté en priorité vers les gisements nécessitant le plus de soutien financier. Par ailleurs, le démarrage progressif du dispositif jusqu’en 2028, avec un contrôle sur trois ans la première période (Les premiers contrats CPB arrivent malgré quelques incertitudes | Energie Plus), offre le temps à l’offre de biométhane de croître suffisamment. La montée en puissance rapide de l’obligation pose en effet la question de la capacité de la filière à y répondre : la CRE anticipe un prix du CPB autour de 80€/MWh en 2026 pour équilibrer le coût de production standard d’une installation.

Si trop peu de projets choisissaient le régime CPB (lui préférant par exemple le tarif d’achat), le nombre de certificats disponibles pourrait être insuffisant et certains fournisseurs seraient contraints de payer la pénalité maximale (plafonnée à 100 € par certificat manquant), renchérissant d’autant la facture des ménages. À l’inverse, une surabondance de CPB sur le marché pourrait faire chuter leur prix et fragiliser l’économie des sites de méthanisation. Trouver le bon calibrage de l’obligation et assurer la confiance des producteurs dans ce nouveau marché sont donc des défis majeurs au lancement.

Qu’en est-il du de venir des unités existantes sous contrat d’achat ?

Le dispositif CPB a été conçu pour prendre le relais du soutien public à l’issue des contrats de 15 ans. Les sites de cogénération électrique arrivant en fin de contrat d’obligation d’achat, par exemple, peuvent opter pour la conversion à l’injection de biométhane et valoriser ce gaz via les CPB. De même, les installations d’injection arrivant en fin de tarif d’achat pourront, après 2025, basculer sur le marché des CPB pour continuer à percevoir un revenu complémentaire. Théoriquement, rien n’empêche non plus un producteur de résilier de manière anticipée son contrat d’achat en cours pour basculer dès que possible dans le dispositif CPB, si celui-ci lui semble plus avantageux. Cependant, une telle décision ne se prend pas à la légère : la plupart des contrats d’achat prévoient, en cas de résiliation à l’initiative du producteur, le versement d’indemnités de résiliation potentiellement élevées à l’acheteur (souvent EDF Obligation d’Achat ou une régie locale). Ces indemnités visent à compenser la perte de droit à l’achat subventionné pour l’acheteur et peuvent atteindre des montants dissuasifs (par exemple plusieurs années de chiffre d’affaires restant sur le contrat).

De plus, renoncer à un tarif garanti pour affronter un marché naissant comporte un risque financier certain. C’est pourquoi, de l’aveu même des régulateurs, peu de producteurs engageront cette démarche avant l’échéance naturelle de leur contrat. La CRE note en 2023 que les options de résiliation anticipée au profit des CPB seront probablement limitées, le caractère sécurisé et prévisible des contrats d’achat en cours l’emportant sur l’attrait d’un marché des certificats encore inconnu. En pratique, le rôle principal des CPB, à court terme, sera donc d’assurer le prolongement du soutien aux installations existantes après 15 ans et de favoriser le financement des nouveaux projets qui ne bénéficient plus de tarif d’achat (notamment les grandes unités >25 GWh/an).

Les premiers signes témoignent de l’appropriation de ce nouvel outil par les acteurs du secteur. Guillaume Labarrière, dirigeant de la société Save Energies, affirme avoir signé début décembre 2024 le premier contrat privé de rachat de biométhane adossé à des CPB en France. Son entreprise négocie avec plus d’une vingtaine de propriétaires de méthaniseurs en cogénération souhaitant céder leur installation, probablement dans l’optique de les convertir à l’injection et de valoriser leur production via les CPB. De leur côté, les fournisseurs de gaz intensifient leurs investissements dans la production de biométhane pour satisfaire leurs obligations. Engie, principal fournisseur français, indique vouloir couvrir en interne une part significative de ses besoins en CPB grâce à la mise en service prochaine de plusieurs grandes installations d’injection (de 40 à 60 GWh/an chacune).

Selon son directeur Régulation France, cela illustre une « méthanisation à l’échelle territoriale » rendue possible par les CPB, c’est-à-dire le déploiement d’unités de taille importante mais réparties dans les territoires, en partenariat avec les acteurs locaux. Ces exemples concrets montrent que le CPB commence à orienter les stratégies industrielles, en offrant de nouvelles opportunités de développement et de consolidation dans la filière biogaz.

Sources :

  • Cour des comptes (rapport Le soutien au développement du biogaz, 2025).
  • Commission de régulation de l’énergie.
  • Ministère de la Transition énergétique.
  • Connaissances des énergies.
  • GRDF (Projet Méthanisation) (Les premiers contrats CPB arrivent malgré quelques incertitudes | Energie Plus) (Les premiers contrats CPB arrivent malgré quelques incertitudes | Energie Plus).
  • Presse spécialisée (Revolution-Énergétique, 2025) (Biogaz: il coûterait des milliards en aides publiques pour une efficacité mitigée surla transition énergétique) (Biogaz: il coûterait des milliards en aides publiques pour une efficacité mitigée sur la transition énergétique.
  • Analyse juridique Gide Loyrette Nouel.
  • Commission européenne (REPowerEU) (Biomethane- European Commission).
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